Le récit
NOUS COMMUNIONS
Safia Nolin est là, casquette blanche à l’envers, décontractée et concentrée à la fois. Il y a le bruit du va-et-vient d’une planche à roulettes sur le bitume de la place de la Paix, la rumeur d’une radio musicale, le ronflement d’un gros bus Pacific Western. Et, dans cette urbanité trépidante, sous nos yeux étonnés, une cérémonie se déroule lentement, non pas indifférente aux signaux que lui envoie la ville, non pas étrangère à ce vieil itinérant inuit qui exclame sa surprise face aux spectateurs, mais tranquille, indulgente, déterminée.
Ce que nous voyons : trois meubles à tiroirs disposés en C qui évoquent un columbarium en marbre, et une plateforme au milieu. Ce que nous allons voir : une série de mini-processions et de rites inventés qui réactivent les notions du sacré et de la transmission. Ce que nous ferons quand l’événement sera terminé : écrire de petits textes, fabriquer de petits objets, soulever la paroi transparente des tiroirs et enfouir nos souvenirs / nos souhaits / nos secrets dans du sable.
Avant que la cérémonie ne commence, Otsi'tsaken:ra (Charles Patton), un Mohawk de Kahnawake, est venu inaugurer le OFFTA de l’autre côté de la rue, au rez-de-chaussée du Monument national. Il a dit ceci, en anglais : « La responsabilité de mon peuple, c’est de conserver la langue et de transmettre la culture. Et avant personne ne s’intéressait à nous. Et maintenant on nous dit que nous devons partager notre message (...) Avec ces mots, j’ouvre cet événement. »
Nous (le Québec, l’Occident) avons perdu le sens de la continuité, des savoirs intergénérationnels et du religieux qui aide à supporter et à porter les moments décisifs de la vie ; mais plutôt que d’imiter la manière de faire amérindienne, nous allons créer nos propres rituels, suggère le comédien Stéphane Crête, devenu « célébrant » laïc, et curieux de voir la démarche du jeune metteur en scène Félix-Antoine Boutin, aux manettes de ce « Centre d’archivage du savoir sensible » (le nom de ce dispositif façon columbarium) et de l’événement cérémoniel qui l’accompagne.
Alors, tandis que le soleil nous gratifie d’une de ses rares apparitions, s’amorce le spectacle. Des performeurs amateurs, essentiellement des femmes d’un certain âge, des enfants et des ados, vêtus de noir avec une collerette en dentelle blanche, s’activent au milieu du meuble géant couleur marbre, défilant avec des bannières religieuses joliment rebaptisées : « Cimetière du savoir perdu », « Danser le chemin parcouru » ou « Embrasser les fantômes ».
Choses vues :
- Une dame âgée ressuscite une petite fille couchée sur le socle central, et lave son visage.
- Une bande d’enfants reproduit les gestes de la dame âgée, qui semble mimer des activités manuelles d’antan.
- La petite fille enlève à la dame ses dentelles.
- La dame s’allonge et les enfants la redressent et la lavent à leur tour.
- Deux autres femmes l’ensablent avec du sable rouge.
Et aussi :
- On écoute un mini-orchestre et une chorale murmurée et désynchronisée.
- Des souvenirs familiaux poétiques et frémissants sont transmis par des haut-parleurs.
- Ainsi qu’une « prière pour l’immortalité » qui dit – comme aurait pu le dire aussi, peut-être, l’homme de Kahnnawake : « Souviens-toi que c’est dans les blessures de ses ancêtres qu’un peuple se construit / Souviens-toi que c’est dans les failles que poussent les plus grandes forêts / Et qu’il faut se perdre souvent pour se retrouver ailleurs. »
Voilà.