Arts numériques

Défendu de se baigner

Caroline Monnet

Nous sommes passés de l’autre côté du miroir (du Canada)

Présentée sur la place publique, l’installation Défendu de se baigner de Caroline Monnet allie vidéo, sculpture et son, afin de dénoncer les conditions d'accessibilité à l'eau potable dans les communautés autochtones au Canada. Critique envers l'immobilisme politique face à cette situation, l'artiste cherche à ouvrir le dialogue.

Le récit

NOUS ABSORBONS

35 000 Autochtones vivent à Montréal, mais leur culture est à peine visible dans l’espace public. « De ce point de vue, Montréal a cinquante ans de retard sur les villes de l’Ouest canadien », observe l’artiste franco-anishnabée Caroline Monnet. Elle y remédie en ce soir de novembre, sous le viaduc Van Horne. Il pleut. Il est question d’eau. Cent cinquante communautés autochtones n’ont pas accès à l’eau potable au Canada, régulièrement ou en permanence.

Au Canada, le pays de l’eau et du progressisme.

Caroline Monnet est partie de ce double constat : l’invisibilité, l’injustice. Elle parle aux Montréalais-e-s que nous sommes, immergé-e-s dans le flux de la ville et du quotidien, insensibles aux signes discrets de l’Histoire. Elle nous dit : « sachez ». Elle a conçu une installation qui imprègne l’âme et la rétine. Plusieurs heures après avoir quitté le site, le lendemain encore, son œuvre nous poursuit. 

Il y a en effet quelque chose d’indélébile dans ces images de plafonds d’églises montréalaises qu’elle projette sous le viaduc, plafonds qu’elle a filmés en faisant tournoyer la caméra, façon kaléidoscope : rosaces baroques, Jésus crucifiés, lustres colossaux, croix kitsch illuminées de rose ou de bleu. Des zooms sur des représentations du tonnerre créent un effet punitif et menaçant. Nous voici sous emprise, comme l’ont été si longtemps les peuples autochtones. Sous cette arche lumineuse et mouvante, Monnet a disposé sept blocs de glace qui emprisonnent de petits vêtements d’enfants (chandails jaunes, roses, verts, jupes et pantalons noirs) et fondent lentement sous les projecteurs. L’ensemble évoque la tragédie génocidaire des pensionnats autochtones, où les représentants de la religion chrétienne dépouillaient les enfants de leurs racines culturelles et familiales, de leur structure mentale – et d’où les petits pensionnaires tentaient parfois de fuir, finissant par mourir dans le froid et la neige. Et puis il y a le son. Une boucle sombre et hypnotique du compositeur Daniel Watchorn, sur laquelle l’artiste chuchote une énumération poignante des impacts de l’absence d’eau potable et du nombre de communautés concernées.

Sacred. Holy. Clean / Complex process / Dirty water / Sickness causing / Bathe. Irritates skin / Consume / Learn to live under water / A country with a reputation. Rights respecting / Disaster / Harmful water / Heavy metals / British Columbia. Twenty two / Alberta. Nine / Saskatchewan.Twenty / Manitoba. Sixteen / Ontario. Eighty / Quebec. Three.

Défendu de se baigner est le nom de son installation. Il fait référence à la pollution des cours d’eau canadiens, singulièrement dans le nord du pays, pour cause d’extraction des ressources naturelles. Un petit stand propose des bouteilles d’eau à prix volontairement élevé – leur prix dans les épiceries des communautés nordiques. L’argent sera remis à des organisations qui travaillent pour améliorer la situation.

On peut aussi grignoter de la bannique et frotter ses mains et son cœur, transis, au-dessus d’un feu.

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L'utopie

Pour que notre ville regarde enfin dans ses entrailles ce qu’elle fut avant d’être cette masse urbaine verticale et triomphante,
il nous faut du bruit
il nous faut des visages
il nous faut des signes ostentatoires de cette mémoire autochtone qui survit aux siècles et aux outrages.

Mais nous avons encore mieux, nous avons encore plus : l’autochtonie urbaine d’aujourd’hui. Nous avons les soixante-dix organismes autochtones implantés dans la ville. Nous avons surtout, cette résurgence de Montréal en tant que centralité autochtone, renouant avec son rôle d’avant les rues, d’avant la ville, d’avant l’Europe. L’anthropologue Carole Lévesque (prefesseure titulaire, INRS) le dit ainsi :

« L’île de Montréal a longtemps été un lieu de rencontre et d’échange entre les peuples algonquiens et iroquoiens. Ce que je constate, c’est qu’elle renoue avec cette vocation. La présence d’Autochtones issus de différentes Nations est de plus en plus visible, et la culture autochtone montréalaise contemporaine emprunte de nouvelles avenues d’expression. Plutôt que d’être l’endroit où l’on coupe avec ses racines, la ville devient le lieu où on les entretient et leur confère un souffle nouveau. »

Nous voulons voir cette nouvelle réalité s’épanouir sous nos yeux. Nous voulons que les récits abondent, nous voulons être interpellés par les vides et les pleins d’une histoire en train de s’écrire, par les combats à mener.    

NOUS VOULONS

Nous voulons nous souvenir de ce que fut l’île de Montréal, un triangle luxuriant bordé par des eaux pures. Nous réaffirmons ici les racines iroquoiennes du territoire, nous reconnaissons l’empreinte vivace d’un peuple prospère, nous disons la nécessité de placer cette histoire au cœur de notre citoyenneté.

Nous ne nous laissons plus bercer par la douceur du vent sur nos joues, ni par le confort de nos jours. Maintenant, nous savons. Liées par les siècles, les esprits et les rêves aux rivières frémissantes qui les ont nourries, certaines communautés de chez nous vivent sans eau potable. Nous ne l’acceptons pas.

Nous croyons aussi que ces peuples, porteurs d’une époque où nous n’étions que des éléments dans le grand tout amniotique, sont nos alliés. Dans la lutte qui s’annonce, dans l’élan qui nous saisit, nous nous unirons. 

Les traces

Défendu de se baigner et l'écologie

L'anthropologue Carole Lévesque et l'artiste Caroline Monnet évoquent la rencontre entre citadins, écologistes et autochtones, et le rôle de l'art dans cette démarche :

Carte d'identité

Caroline Monnet

Caroline Monnet

Caroline Monnet (née en 1985) est une artiste multidisciplinaire originaire de l'Outaouais, au Québec, qui vit actuellement à Montréal. Après des études en sociologie et en communication à l'Université d'Ottawa (Canada) et à l'Université de Grenade (Espagne), elle poursuit une carrière en arts visuels et en cinéma. Monnet est élève du Berlinale Talent Campus et du TIFF Talent Lab 2016. Ses films ont été présentés dans de nombreux festivals à travers le monde, dont TIFF, Sundance, Palm Springs, Tampere, Berlinale et Cannes. Elle reçoit deux nominations aux Prix écrans Canadiens pour ses courts métrages Roberta et Tshiuetin. Elle remporte le Golden Sheaf Award du meilleur film expérimental au Yorkton Film Festival pour Mobilize. Elle développe actuellement son premier long métrage sélectionné par la résidence de la Cinéfondation du Festival de Cannes à Paris. En tant qu'artiste visuelle, elle a exposé ses œuvres au Palais de Tokyo (Paris) et à la Haus der Kulturen der Welt (Berlin) dans le cadre des Rencontres Internationales. Son travail a également été présenté à Axenéo7 (Gatineau), Plug In ICA (Winnipeg), au Musée des beaux-arts du Canada, à l'Arsenal (Montréal et New York), au Musée McCord et au Musée d'art contemporain de Montréal.

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Coproduction et codiffusion

OBORO
LA SERRE – arts vivants

Crédits de l’œuvre

Création Caroline Monnet
Caméra Eric Cinq-Mars
Montage Marc Boucrot
Musique Daniel Watchorn
Son Stéphane Claude

Vidéo

Réalisation et montage Joël Morin-Ben Abdallah;
Caméra Isabelle Stachtchenko, Charlie Marois, Joël Morin-Ben Abdallah;
Son Sophie Bédard Marcotte, Joël Morin-Ben Abdallah;
Le tournage a été rendu possible grâce à l'équipement de ON EST 10, coop de solidarité

Photos

Événement Chloé Larivière
Portrait Ulysse Del Drago

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