Le récit
NOUS ÉCOUTONS
C’est un de ces soirs d’été où la ville est sereine et disponible. Les âmes flottent, l’air est léger. Dans l’hôtel de ville de Montréal, à deux pas de la très solennelle salle du conseil, des enfants mangent des croustilles et sirotent leur jus. Ils prennent l’apéro. Ils sont les vedettes de la soirée. Au micro, une conseillère leur dit : Montréal a besoin de vous, et elle ne croit pas si bien dire ; elle n’a pas encore vu le documentaire de Patrick Péris, et nous non plus.
Pendant 56 minutes, 82 enfants des quatre coins de l’île de Montréal, âgés de 7 à 17 ans, vont parler face à la caméra de démocratie, d’environnement, d’école, d’amitié et de nouvelles technologies. Leurs connaissances et leur prescience sont dérangeantes. Ils ont tout compris – ils ont compris que les générations d’avant avaient mis à mal leur terrain de jeux (nos milieux de vie) au point d’en menacer l’existence. Ils ont compris que la démocratie n’est qu’illusion. Ils ont compris que l’homme est un loup pour l’homme.
Ils ont plein d’idées, aussi.
Il y en a un qui propose l’interdiction de fumer le mercredi.
Une qui trouve qu’on devrait se lever plus tard, pour avoir « des rêves plus longs ».
Un qui propose d’utiliser des moutons à la place des tondeuses dans les espaces verts.
Il est question de voitures volantes, évidemment.
De déchets qui se déplaceraient automatiquement jusqu’aux poubelles.
Ils sont Montréalais : ils sont obsédés par le vivre-ensemble et les questions de discrimination et de racisme. Ils disent : Les écoles sont super multi ethniques à Montréal, et pourtant il y a tellement de racisme ! Ou bien : Si on impose une charte des valeurs aux immigrants, ils vont se sentir dépouillés, et ne plus être capables de s’ouvrir.
Ils sont d’une lucidité et d’un fatalisme saisissants quant à la dépendance aux cellulaires, la leur, celle des autres.
Pour l’évasion fiscale, ils sont au courant.
Pour la baisse des heures d’orthopédagogie à l’école, ils sont au courant.
Pour notre dépendance au pétrole, pour le réchauffement climatique, ils savent. Il y a une petite fille qui dit, tout sourire, cette phrase glaçante : On est chanceux, on est encore sur Terre.
Ils ont remarqué que Montréal était constellée de cônes orange, de nids de poule, de rues barrées, de bouchons. Ils ne comprennent pas pourquoi les travaux ne finissent jamais.
Et au milieu de cet océan de connaissances, de lucidité, il y a leurs sourires, et leurs désirs d’avenir. Les plus âgés prônent le pouvoir au peuple, la réforme du mode de scrutin, une assemblée constituante...
On les écoute, et on se prend à rêver que le temps s’accélère, pour les voir aux commandes de la ville.