Le récit
Par Camille Bédard
Un jeudi soir ensoleillé de fin d’été, coin de Maisonneuve et Saint-Laurent. À la sortie du métro, la stupéfaction se lit sur le visage des gens. Cet espace urbain résiduel sans personnalité, traversé si souvent du métro au boulot, du boulot au show, du show au dodo, est aujourd'hui transformé par la présence monumentale de six tuyaux colorés. Le bruit des autobus qui démarrent, des sirènes de police et d’ambulance, des haut-parleurs des nombreux festivals semblent s’estomper pour laisser place à la symphonie d’Instrument à vent, orgue fantastique qui somme les passants de ralentir.
Le paysage sonore urbain, on s’entend, est plus souvent source de nuisance que de plaisir, et s’apprécie ironiquement lorsqu’on parvient à l’oublier. Et pourtant, ce paysage au registre infini compte une gamme de sons qui ponctuent agréablement le quotidien urbain : les éclats de rires de fêtes d’enfants, le tintement de verres sur une terrasse, les pas sourds dans la neige fraîchement tombée, l’envolée de cloches d’église lors d’un heureux événement…
L’installation tubulaire d'Étienne Paquette et les sons qu’elle diffuse se complètent comme s’il s’agissait d’un véritable instrument à vent. Cette unité esthétique cache un instrument de musique logiciel qui capte les bruits environnants et analyse leurs niveaux et fréquences harmoniques pour les transposer dans le spectre musical de l’œuvre. Les curieux qui parlent, chantent ou crient dans le petit tuyau lilas au pied de la structure alimentent la machine à générer des sons et font évoluer une progression d'accords. Au moyen de leur voix, ils laissent une empreinte dans le paysage sonore. Toutefois, rien n'est laissé au hasard: la partition d'Instrument à vent suit les sonorités harmonieuses d’une gamme pentatonique. Peut-on apaiser l’oreille dans le tintamarre urbain en y ajoutant des sons plutôt qu’en cherchant le silence ?
À tombée de la nuit, ce paquebot musical inusité prend une toute autre allure. Si la lumière du jour fait ressortir les couleurs vives de la structure tubulaire, les éclairages visibles de nuit facilitent la compréhension de la composition musicale, chaque tuyau ayant ses propres notes. Les effets lumineux emportent les passants dans une valse, au rythme de cette agréable musique urbaine réinventée.