Arts culinaires

Le Pop-up Bouffe

Antonin Mousseau Rivard

Nous avons dégusté ce qui pousse sous nos pas

Le chef Antonin Mousseau Rivard (restaurant Le Mousso) a lancé un défi à ses amis chefs : le temps d’une soirée au cœur d’un site d’agriculture urbaine : préparer un repas collectif exclusivement locavore, c’est-à-dire composé d’aliments cultivés sur l’île de Montréal ou à une distance de moins de 100 km. Mousseau aborde ainsi le thème de l’économie en appliquant les principes du circuit court, à travers des bouchées savoureuses conçues comme des œuvres d’art.

Le récit

Le chef cuisinier Antonin Mousseau Rivard et ses amis du groupe Alaclair Ensemble festoient sur le site du futur campus MIL de l’Université de Montréal pour une expérience gastronomique hors norme : un repas concocté à 100 % d’aliments locaux.

Au cœur du chantier qui dévore l’un des derniers terrains vacants au centre de l’île de Montréal, enclavé entre deux voies de chemin de fer, un improbable jardin nourricier se cache. Au pied de l’étrange pyramide du MONT RÉÉL – une expérience de design collectif éphémère évoquant le mont Royal qui se profile au loin –, les abeilles butinent dans le jardin floral de Miel Montréal coincé entre le bureau du surintendant de chantier et les clôtures métalliques derrière lesquelles s’active la machinerie lourde qui terrasse sans relâche le vaste terrain vague.

À l’horizon, des grues immenses se penchent sur le squelette de béton armé d’un pavillon universitaire en construction, tandis que des ouvriers s’activent dans les entrailles de ce qui deviendra un pôle de savoir destiné à nourrir les esprits avides de connaissances de la génération montante.

Un train de marchandises passe par ici, grinçant des freins, tirant quelques wagons-citernes usés, possiblement chargés de l’or noir de l’Ouest qui nourrit l’appétit insatiable des marchés au risque d’affamer la planète en troublant le climat. Un train de passagers passe par là, ramenant probablement quelques centaines de personnes de la ville gagne-pain vers la banlieue-dortoir où, qui sait, le souper les attend peut-être déjà.

Suivant un papillon virevoltant au hasard entre les rangs d’un jardin collectif bien fourni, nous tombons sur une agricultrice en herbe qui récolte des courgettes énormes. « J’arrive jamais à les cueillir à temps! » soupire la jardinière qui cultive dans ces potagers communautaires de quoi remplir le ventre des gens de son quartier sans leur vider les poches.

Signe que l’agriculture urbaine est dans l’air du temps, une équipe de télévision s’affaire à tourner un peu plus loin dans le jardin maraîcher de la coop Bioma, arraché au gravier de l’ancienne emprise ferroviaire. Et comme on peut semer l’avenir n’importe où, une pépinière des amis de la montagne s’étend là, à nos pieds, comme la promesse d’une nature urbaine prête à reprendre ses droits sur la ville et à reconquérir même les terrains les plus hostiles, décontaminant au passage des terres jadis fertiles, pour autant qu’on lui en donne la chance.

On tourne les yeux pour trouver, trônant au milieu de ces installations hétéroclites, Le Virage, une structure formée de conteneurs modifiés, dont l’un accueille la cantine où l’équipe du chef est déjà à l’œuvre. Au son, caractéristiquement désaccordé, d’un piano urbain, se mêlent le bourdonnement des systèmes de ventilation de l’usine avoisinante et le ronronnement de la génératrice. Le chef sort de sa cuisine le temps de saluer les artistes qui arrivent.

C’est l’heure de la première tournée. Au bar, on offre un cocktail à base de gin distillé localement à partir de grains de maïs du Québec. On sert aussi de la bière locale et même du vin local. Il ne se trouve pas de vignobles sur l’île de Montréal, mais il s’en trouve bon nombre à moins de 100 kilomètres. Pas de vin blanc ce soir, par contre. Quand on boit local, il faut se contenter de ce qu’on a!

Pendant le test de son du groupe, le chef s’active dans la cuisine, décorant de fleurs comestibles ses salades fraîches du jour. Alors que les braises fument encore doucement sous le grill, les apprentis locavores arrivent et s’attablent, seuls ou en petits groupes, en attendant qu’on sorte les plats.

Ça y est, la table est mise. On se met en file indienne. Pas de prières avant le repas, mais des remerciements et un discours enflammé du chef qui promet de nous régaler avec les produits disponibles à Montréal ou dans les environs immédiats. Entre les légumes frais et les herbes cueillies sur place, le poisson issu de la pêche sportive sur le Saint-Laurent et les produits laitiers importés, si l’on peut dire, d’une ferme située à 77 kilomètres de Montréal, le chef a tenu son pari de nous concocter un repas complet à base d’aliments locaux. « C’est une question de choix », insiste-t-il en précisant que, sans chercher à être moralisateur, il veut éveiller nos consciences à ce possible locavore.

Alors que les fourmis ouvrières sont au repos (ou au repas) et que les cigales chantent dans la pénombre, on sert le dessert. Barbe à papa au sucre d’érable et foie gras, pourquoi pas? Demain, le chantier continuera à dévorer la ville. Et nous, que mangerons-nous?


Texte de Simon Van Vliet

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L'utopie

Rêve récurrent : remonter le temps jusqu’au début du 16e siècle et marcher le long des plants de maïs iroquoiens sur les flancs du mont Royal, au cœur de l’île, avant que les Européens n’y mettent les pieds (puis les bottes, les pierres, les églises, les armes, les routes, les usines). Bifurquer vers un champ de courges, de fèves, puis de tabac.

Voir l’île d’avant, sauvage souvent, cultivée en partie, garde-manger fertile s’épanouissant entre les bras du fleuve, poissons abondants, gibier bondissant.

Et après ? La ferme Saint-Gabriel de Marguerite Bourgeoys, pour commencer. Le chou, la laitue, le navet, premiers légumes plantés par les colons. Puis le blé, l’avoine, le chanvre, le lin. Les vergers au 19e siècle – pommes, prunes, abricots ! Et le melon de Montréal, célèbre au début du 20e siècle... 

Siècle après siècle, vague d’immigration après vague d’immigration, on n’a jamais cessé de cultiver à Montréal. Malgré l’urbanisation galopante. 42 % des habitants de l’île ont un mini, petit, moyen ou grand potager (1). Les champions sont les familles originaires d’Europe du Sud, des stakhanovistes du poivron rouge et de la tomate en grappes, des forcenés de la culture intensive sur petite surface. Les ont rejoints, ces dernières années, les tenants de l’agriculture urbaine. On compte aujourd’hui près de 140 000 hectares consacrés à l’agriculture.

Sur l’île.

Ce sont les prémisses d’une autosuffisance alimentaire à laquelle Montréal pourrait prétendre, soutenue par les maraîchers de la Montérégie, de l’Estrie et des Laurentides.

C’est une jouissance (parce que manger ce qu’on a fait pousser est inouï), c’est une nécessité (parce que la crise environnementale est désormais notre lot).


NOUS VOULONS

Nous sommes gourmands et locavores. Nous rêvons de déguster tout ce qui pousse à moins de cent kilomètres autour de nous.
Nous voulons mener avec ardeur notre guérilla potagère. Laissez-nous semer où nous voulons, quand nous voulons ; laissez-nous voir pousser les germes de notre autosuffisance.
Nous voulons manger ce qui est bon pour nous. Nous savons que ce qui pousse dans la cour arrière, sur le balcon ou dans le jardin communautaire est ce qu’il y a de meilleur.
Nous voulons faire de nos jardins les poumons de la ville. Parce que les jardins sont magiques : ils améliorent la qualité de l’air, réduisent les îlots de chaleur, protègent la biodiversité, absorbent les eaux de ruissellement...
Nous voulons des truites arc-en-ciel et des dorés dorés. Et des perchaudes, des achigans, des brochets du Saint-Laurent.
Nous voulons relocaliser l’économie. Nous croyons que dans nos jardins peuvent germer des emplois au service des humains.
Nous voulons, partout dans la ville, semer la beauté. Nous savons que les jardins sont un baume pour les yeux, une douceur pour l’âme, un pansement sur les cicatrices urbaines, une respiration.

Nous sommes Montréal.
Nous voulons l’avenir, mais tout de suite.

(1) Sondage BIP, 2013

Traces

La bouffe et l'économie

Carte d'identité

Antonin Mousseau Rivard

Antonin Mousseau Rivard

Chef de 32 ans, Antonin a fait ses armes dès son plus jeune âge : à son actif pas moins de 5 restaurants de renom (Sarcelles, MAC, Le Contemporain, etc…). Sans avoir fait d’école culinaire, Antonin est un chef autodidacte qui repousse les limites de la cuisine : en plus de faire des plats exquis, ses assiettes sont époustouflantes dans le choix des couleurs et de l’assemblage.

Partage

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Le changement passe aussi par la culture

Coproduction et codiffusion

L’Association des restaurateurs de rue du Québec
LA SERRE – arts vivants

Partenaire

FONDS de solidarité FTQ

Remerciements

Le Virage MTL
La coopérative Bioma
Alaclair Ensemble

Crédits de l’œuvre

Création Antonin Mousseau Rivard

Vidéo

Réalisation et montage Joël Morin-Ben Abdallah;
Caméra Isabelle Stachtchenko, Charlie Marois, Joël Morin-Ben Abdallah;
Son Sophie Bédard Marcotte, Joël Morin-Ben Abdallah;
Le tournage a été rendu possible grâce à l'équipement de ON EST 10, coop de solidarité

Photos

Événement Maxim Paré Fortin
Portrait Bénédicte Brocard

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