Le récit
NOUS NOUS RENCONTRONS
Par Rachel Morse
Providence de Guillaume Adjutor Provost est le premier POSSIBLE, celui par lequel tout s’amorce, tout se déclenche. Providence prend place dans les locaux vastes et simples de l’Association des travailleurs grecs du Québec. Dans cette petite foule de pionniers et de défricheurs, réunis par le hasard de cette soirée froide, on trouve des spectateurs curieux, de nouveaux partenaires artistiques qui se saluent, des « gens du milieu » et plusieurs jeunes artistes, le sourire aux lèvres. Ils sont arrivés en retard, ils ont cherché le lieu, et découvert cette façade de l'avenue du Parc et ses immenses fenêtres : un lieu de réunion, de luttes syndicales, de lutte pour la visibilité, transformé ce soir-là en galerie circonstancielle. Dès l’entrée, l’artiste nous offre un café en nous saluant, établissant déjà le décorum honnête et authentique de la soirée.
Nos yeux entrent d’abord en collision avec ces photos disposées autour de nous sur des cartons gris, archives helléniques choisies, présentant différentes situations anecdotiques dont les détails nous échappent. Au centre de la salle trône un immense écran qui présente différentes images saccadées et paysages dérobés au quotidien.
Au pied de cet écran, deux femmes en survêtement et une centaine de petits objets journaliers sur des piédestaux, tout autour : des cigarettes, des clémentines, de petites statuettes, de la gomme à mâcher, un sac-poubelle… Autant d’objets qui, combinés à la présence des deux femmes, des interventions vidéo et des archives de l’association, forment un tout complexe et inconfortable.
Après une vingtaine de minutes à observer les gestes lents des deux femmes, dans une omerta accidentelle du public, un couple (passé trop rapidement, pressé d’être diverti) lance un discret « On comprend rien, on va faire un bout » en sortant. Cas d’exception, car la majorité reste là et tente, pour cohabiter avec le silence pesant qui règne, de rencontrer l’autre. De chuchotements en rires, l’œuvre se mêle aux discussions pour atteindre son paroxysme. Les performeuses parlent enfin, déclamant sur un ton volontairement morne des paroles bouleversantes, écrites par des femmes itinérantes et à bout de souffle – et l’on comprend que ces objets représentent leur vie précaire, sur un fil.
Par son hybridité et son intégration caméléonesque (on en distingue les contours, mais le cœur est cimenté dans le lieu) l’œuvre de Guillaume Adjutor Provost semble toucher l’essence de POSSIBLES : la rencontre. Celle avec l’œuvre et avec d’autres gens du milieu, celle avec la communauté grecque et son bâtiment si discret qu’il en est transparent, nous qui nous disons pourtant inclusifs et ouverts, oui, mais surtout (par la bande) une rencontre avec nous-mêmes, une considération de nos privilèges qu’on oublie trop souvent de remettre en perspective.
À la fin de la soirée, derrière l’écran, une famille entre par la porte arrière, surprise de cette foule dense et inconnue dans ce lieu qui est pourtant le leur. Pour notre part, nous sortons par la porte avant, l’esprit à vif. Guillaume Adjutor Provost a secoué nos certitudes, activant un long parcours de réflexion - nécessaire.