Le récit
Les cales sèches de Govan sont trois bassins de granit ovales, étagés et désaffectés depuis près de 40 ans. Pour certaines personnes du quartier environnant, il s’agit d’un endroit où l’on est certain de s’attirer des ennuis, tandis que d’autres ont développé une certaine fierté face à ces vestiges de l’industrie autrefois prospère de la construction navale.
Au cours des années passées à Glasgow, j’ai remarqué que les habitants n’accédaient à la rivière et à ses berges que rarement et n’en profitaient donc pas. La Clyde est toujours fortement associée à une industrie perdue, au chômage massif et à la pauvreté, tout cela ayant mené à des crises identitaires, à une épidémie de maladies mentales et à une vague d’alcoolisme et de toxicomanie répandue dans les anciennes communautés navales dont Govan fait partie. Peut-être que la rivière, une sorte de « tache noire » extrêmement sensible, nous empêche-t-elle de réinventer notre relation avec le cours d’eau, comme une blessure qui refuse de guérir.
La géographie et la sociologie de cette ville fluviale sont indéniablement interreliées aux notions d’économie, de classe et, symboliquement, de genre. Ces tensions sont entremêlées aux cales, ces dernières d’autant plus remises en cause par les plans de « développement » en cours. Je me demande à quel point le récit sous-jacent d’un lieu désuet a un impact sur les rapports identitaires, les parcours et les relations entre un lieu et sa communauté.
Nic Green
Les trois performances de TURN ont eu lieu durant un seul mois lunaire, et coïncidaient avec la nouvelle lune, la pleine lune et le dernier jour du cycle lunaire. Toutes ces performances entrecoupaient la marée basse « tournante ». L’artiste voulait débuter par quelque chose de plus important que le récit humain de notre passé industriel, en considérant plutôt l’héritage écologique continu de la rivière et ses systèmes sauvages; plus précisément la régularité qu’ils provoquent par leur constant mouvement et leur nature transitionnelle.
Ce projet a tracé plusieurs « cercles » dans sa création, avec une attention particulière pour les macrocycles de la lune et des marées. Il a inspiré également des cercles géographiques à l’intérieur et autour de Govan, en présentant des histoires locales de cycles et de changements de vie, à travers les voix de femmes célébrant leur anniversaire. Durant une heure, celles-ci ont décrit les moments décisifs, les points tournants de leur propre vie.
Les voix de ces femmes ont été diffusées sur place et en direct sur les ondes d’une radio locale, et l’auditoire a pu les entendre intimement grâce à des haut-parleurs placés dans de petits boîtiers métalliques. Leurs discours étaient accompagnés d’une chorale chantée en direct et amplifiée au cœur même des cales.
Le chœur a également sonné onze cloches de bronze créées spécifiquement pour cette performance, chacune d’entre elles consacrée à un individu ou à un organisme local, et gravée d’une inscription de leur choix. En travaillant sur l’acoustique architecturale du lieu, les sons de la performance ont rebondi pour créer des échos et résonnances à travers le paysage de granit.
J’ai considéré l’utilisation et la fabrication des cloches dans la communauté comme à la fois le souvenir d’un monde sonore passé (le martèlement des coques métalliques des bateaux) et un signe de mouvement, ou une invitation à réinventer le potentiel de l’endroit et de l’espace. J’en suis venue à voir la cale comme une énorme bouche, offrant quelque chose d’abstrait et de toujours changeant dans un paysage en évolution, en transition. Et si nous pouvions enrichir les associations créées dans cet espace? Et si nous pouvions dérégler ce que nous croyons savoir? Et si nous pouvions entendre des récits alternatifs à ceux que nous connaissons, propulsés par l’architecture? Comment cela affecterait-il notre sens de l’espace et ses possibilités?
Nic Green
Les cloches sont en soi des objets de transition culturelle. Elles ont été employées durant des siècles pour souligner les changements et les moments charnières. Un anniversaire, comme tout marqueur de cycle ou de temps, est souvent utilisé afin de réfléchir au passé, d’avancer et d’évoluer. Les cales sont le témoignage d’une ancienne industrie et d’une identité urbaine, évoluant dans un écosystème sauvage et en mouvement. Ce projet s’est manifesté tel un système de performances offrant des caractéristiques de transition et d’impermanence. Sur place, il n’existe aucune trace des événements, uniquement des enregistrements, photographies et témoignages de leur existence.
J’imagine cette trace comme un mince fil transparent, doucement déposé sur le récit actuel de l’endroit. Il s’agit d'entrevoir la possibilité d’une histoire différente pour le présent et le futur d’un lieu et des gens qui y habitent. Elle représente l’idée que même ce qui est apparemment immuable peut soudainement se transformer en quelque chose de différent, à l’inverse de ce qu’il a toujours été.
Nic Green